Solitude
Une semaine que je sillonnais ce pays en solitaire et je me sentais bien. Il y avait longtemps que je n'avais pas éprouvé un tel sentiment de bien-être. Les paysages minéraux succédaient à l'herbe rase vierge de toute habitation. Les fumerolles d'une terre volcanique laissaient entrevoir une vie souterraine intense qui ne demandait qu'à s'exprimer. Heureusement pour moi, elle restait silencieuse, ce qui me convenait. Le silence était ce que je cherchais, la solitude aussi. Moi qui aime les grandes cités grouillantes, ces immensités désertes m'apaisaient comme le calme après la tempête, tempête cérébrale, excitation un peu vaine au contact des hommes. Nul contact ne venait troubler cette quiétude intérieure qui m'habitait. La veille, j'avais été surpris en flagrant délit de misanthropie. Je m'étais installé dans un camping, désert, au fond d'un fjord, pensant trouver, dans un décor grandiose, une harmonie propice à la méditation, exercice nouveau pour moi. L'endroit était parfait, le temps idéal avec un ciel limpide, les parois enneigés du fjord dans la lumière du soir donnaient une teinte étrange à ce lieu encaissé, une nature quasi mystique habitée par les dieux nordiques. Les heures qui suivirent me poursuivent encore. Le soleil disparut derrière les montagnes, sans se coucher, laissant derrière lui une lumière laiteuse, pas de brume, juste une blancheur vaporeuse. Je ne fus pas seul très longtemps. Petit à petit, le camping s'est rempli. Après un copieux dîner, je revins à mon campement au milieu d'envahisseurs sortis de nulle part, de tentes et de camping-cars posés ça et là, au son d'une musique assourdissante venant de tous côtés. Je fis de multiples tentatives d'isolement phonique, toutes plus vaines les unes que les autres. Je tentai de partager ce bonheur collectif, sans réussite, la langue locale décourageant tout dialogue constructif. Au milieu de cette nuit blanche, je compris dans un éclair de lucidité que je ne dormirai pas. Je démontai et partis. L'heure importait peu, j'étais assommé par la foule. Mais d'où venaient-ils ? Il n'y avait que quelques maisons dans ce village, le suivant se trouvait à près d'une heure de route et encore, minuscule, le reste n'était que désert de lave et pentes escarpées. La fatigue me fit m'arrêter et dormir à l'arrière de la voiture, loin de toute vie. Je me trouvai sur une piste de montagne, dans les nuages, en correspondance parfaite avec l'état dans lequel je me trouvai. La déception de cette méditation contrariée fut de courte durée. Je repris ma route et, les nuages se dissipant, je franchis un col, débouchant de l'autre côté sur la côte sud de l'île, paysage que vous découvrez sur l'image attenante à ce texte. Cette vision suffit à mon bonheur et cette nuit de cauchemar s'effaça instantanément. Enfin seul, des kilomètres à la ronde, pas âme qui vive.
Ce jour-là, je ne rencontrai ni ne vis personne humaine, ni même un animal.