Jour 35, fin de la cinquième semaine du Grand flou à Laurenan, il est 8h27, nous sommes le 20 Avril 2020

Je porte des lunettes progressives, monde indistinct quand je les enlève. Acouphènes permanents, audition floutée par un bruissement permanent, on 'en guérit pas. Le reste de mes sens fonctionne encore, quelques trous de mémoire, comme tout le monde ( je me rassure), l'odeur de nos élevages me parvient chaque jour et quand je concocte un gâteau, je le sais, je le mange, c'est bon. Je caresse mon chat, c'est déstressant, très doux au toucher. Au contact du monde extérieur, je parle quand je rencontre quelqu'un de connaissance, à distance. Si j'ai attrapé le virus malfaisant, ce serait vraiment un manque d'attention de ma part, mais où et quand ?

L'actualité se répète, lente et enkystée dans les statistiques : les courbes sont descendantes, celles du gouvernement aussi. Rien à dire, le premier ministre a manié la langue de bois comme jamais, un flou artistique enveloppe la date du début du dé-confinement, modalités, qui, où, comment ? Les écoles ré-ouvrent ? Oui, non, lever de boucliers, un pas en arrière, quelles classes, quelle région ? Je ne suis pas rassuré par ces tergiversations.

Eh ! Oui, vous ! C'est vous qui décidez d'une date à laquelle je pourrais oublier mon attestation, à laquelle vous pourrez mobiliser la maréchaussée à autre chose qu'à empoisonner la circulation.

Je n'ai rencontré aucun gendarme depuis cinq semaines entre Laurenan et Plémet, cinq kilomètres aller, cinq kilomètres retour, faire des courses, une fois Loudéac, 18 kms, pour poster un courrier mardi dernier, toujours pas arrivé.

J'ai commencé un livre québecois hier soir, Les grandes marées de Jacques Poulin. Un bien fou, j'ai l'impression d'entendre parler l'auteur, cet accent qui m'avait séduit et ces gens, deux séjours dans la Belle province, une communication si simple. J'enfonce des portes ouvertes et je remue des souvenirs que je ne devrais pas, merci pour les moments partagés, définitivement perdus, je ne retournerai jamais au Québec, trop difficile. J'avais lu "La tournée d'automne" du même auteur, belle histoire d'amour ayant pour cadre un bibliobus, nécessaire lien dans ces contrées reculées.

Je ne retournerai pas dans beaucoup de lieux, me semble-t-il, nul besoin de pèlerinages, le monde est vaste, tant de pays à découvrir quand tout ceci se sera estompé.

Le brouillard est ma couleur ce matin.

Bises virtuelles

Image : Québec / Tadoussac / 2010