La mort rôde / 9

Louis présenta sa thèse avec succès, avec félicitation du jury. Peu de monde lors de cette présentation, l'intitulé avait de quoi faire fuir : Lovecraft et son pouvoir de vie et de mort sur ses contemporains, présents, passés ou futurs. En dehors du jury, une dizaine de personnes avait assisté à l'exposé, documenté, posé et solidement construit selon les dires du directeur de thèse. Un bémol toutefois : aussi solidement argumentées pouvaient-ils être, les tenants et les aboutissants ne pouvaient que rester dans le domaine théorique, aucun fait réel n'ayant été constaté qui aurait pu concrétisé cette brillante démonstration, et, rajouta l'universitaire, heureusement jusqu'à aujourd'hui.

Un sourire apparut subrepticement sur le visage de Louis, sourire énigmatique qui n'échappa pas à M. qui se trouvait dans la salle. Les deux hommes ne s'étaient jamais rencontrés, si l'on peut dire, l'un connaissant l'autre par phénomène interposé. Pas de contact prévu ce jour, jugea M., l'exposé avait le mérite de la clarté, la démarche et les procédés y étaient décrits noir sur blanc, vue comme un simple exercice de style par le jury, subjugué par le charme vénéneux de Louis et sa brillance intellectuelle. M. n'était guère impressionné, ayant lui-même présenté une thèse, quelques années auparavant, sur un sujet fort éloigné, avec félicitations du jury. Mais dans ce cas, la gravité et l'imminence du danger étaient réels, totalement ignorés par ces gens, auto-promus élites intellectuelles, visières stylistiques et culturelles arborées comme autant de trophées. Les compétences requises n'étaient pas présentes dans la salle. M. devait se procurer un exemplaire de ce que l'on pouvait qualifier de "déclaration de guerre", pas trop difficile, ses titres universitaires lui permettraient de justifier l'acquisition de la thèse, pour ses travaux personnels, s'entendit-il dire quand on lui remit l'imposant pavé de 400 pages.

Merci à vous, oui, bien entendu, je vous enverrai une note de synthèse, je n'y manquerai pas, au revoir, encore merci. Louis était déjà parti quand ses écrits prirent un chemin qu'il n'aurait pas souhaité.

De retour avec sa famille, les parents, frère et soeur avaient assisté à sa prestation, non sans quelques bâillements mais plutôt fiers dans l'ensemble du petit génie familial. La vie dans la grande maison avait repris son cours normal, en apparence. Les vacances étaient terminées pour tout le monde, l'école avait repris son cours, le père était retourné dans son agence immobilière et la mère, infirmière au centre hospitalier, avait repris son service, de jour pour la première semaine de rentrée, en alternance pour la suite. Louis était en vacances, méritées, non contestées par l'entourage.

Il pouvait mettre en place ce pourquoi il avait travaillé d'arrache-pied.