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15 Jan

CONTE : Rendez-moi mes ailes / Il est 10h10, nous sommes le 15 Janvier 2021

Publié par gilles cochet  - Catégories :  #littérature

L’ours se tenait près de la fenêtre de la cambuse, à l’arrière de la cabane en rondins. A la lisière de la forêt, il n’était pas rare que les plantigrades viennent chercher pitance, attirés par l’odeur entêtante de la nourriture, qui, malgré toutes mes précautions d’usage, titillaient le système olfactif très développé de ces animaux. Je souhaitais de tout cœur partager mais un convive tel que celui-là risquait fort de mettre à mal la construction en bois que j’avais eu tant de peine à construire. La barrière anti-ours n’était pas terminée, gisant dans la remise parmi un amoncellement disparate d’objets de toutes sortes. Nous étions en Janvier 2022, une année d’isolement me rendait assez flemmard, je procrastinais à qui mieux mieux, remettant au lendemain des tâches pourtant vitales, dont cette barrière. Peu d’ennui à déplorer, mis à part une basse-cour dévastée au printemps, les loups de passage s’étaient offerts un copieux petit déjeuner, profitant de mon sommeil profond, dû, il est vrai, à une soirée vodka solitaire et minable, il y a des jours comme ça.

La remise devait être rangée, je ne pouvais m’y résoudre, redoutant d’y retrouver quelques vestiges du passé, récent et plus ancien.

Deux Noël s’étaient déroulés ici, les enfants, grands maintenant, étaient venus me tenir compagnie dans ce coin perdu de Laponie. Vaguement inquiète de la santé mentale de leur père, ma fille avait entraîné son frère dans l’expédition, ne manquant pas d’apporter moult cadeaux, voyage hasardeux car faute de route praticable, ils avaient loué les services d’un Husher, et de ses chiens de traîneau, deux attelages, nécessaire pour transporter tout ce que ma progéniture jugeait utile pour la retraite glacée de leur fou de père.

La remise était pleine de tous ses présents, j’avais ouvert quelques paquets, dont quelques-uns improbables, liste à la Prévert non exhaustive.

Le premier Noël n’avait pas été trop difficile, pas de pandémie, l’installation était spartiate, aucun des cadeaux de ce premier Noël ne fut très utile, notamment une tenue de plongée dont je ne compris l’utilité que beaucoup plus tard, mon fils ayant vu sur la carte qu’un lac se trouvait à proximité. Par je ne sais quelle tournure d’esprit, je trouvais dans un des paquets une brochure touristique détaillée de séjours à Venise, que je consultai régulièrement l’hiver qui suivit, avant que l’épidémie ne réduise à néant mes projets lacustres.

Ma vie aux confins de l’Europe me protégeait des évènements que nous connaissons, ce qui en soi compensait amplement les désagréments d’une vie sous ces latitudes. J’avais construit ce cabanon suite à un pari stupide sur mes capacités à vivre seul, sans parler à quiconque pendant des semaines, moi qui ne pouvait supporter une journée sans parler à quelqu’un, et conséquence dans la foulée d’un acte très mal élevé de ma part, mon refus d’honorer un cadeau de Noël ( le précédent), fort onéreux : une place à un concert de Céline DION à Las Vegas, tous frais payés… Gloups ! Non, pas ça ! La personne qui m’offrait cela avait mal compris une blague au deuxième degré sur mon appétence pour la québécoise et, pensant me faire plaisir, m’avait acheté ce billet que j’avais aussitôt revendu sur E-BAY, ce qui suivit n’eût rien d’un conte, et me voici où je suis à cet instant.

Le cadeau rêvé dans ces moments-là, c’est une machine à remonter dans le temps, que jamais personne ne m’a offert, mes enfants non plus malgré leurs recherches.

 

Le premier Noël fut parfait, car un super cadeau, je n’en cru pas mes yeux, une petite pochette, l’air de rien, contenait une place pour la Finale de Roland-Garros, nous étions avant les confinements multiples, désespoir d’un fan de tennis, et de Nadal en plus, pas juste me suis-je dit du fond de la taïga norvégienne, la soirée vodka sans doute !

Entre les deux Noël, je me suis occupé, lecture, écriture, promenades au grand air, sifflet à la bouche, ce truc m’a été appris par un québécois afin d’éviter toute mauvaise rencontre au hasard d’un bosquet, un ours par exemple, une ourse avec son petit : faire du bruit éloigne les importuns, quel qu’il soit dans le règne animal. Nez à nez avec un renne ne pose pas de souci, il aura plus peur que vous et il y en a pas mal là-haut, des lapins, des loups aussi, mais vous ne voyez jamais, eux vous voient, vous discernez les traces de leur passage sur un sentier humide, pas de panique, vous n’êtes pas à leur menu à la belle saison. L’hiver venu, il est conseillé de ne pas traîner seul dans les bois à la nuit tombée, quelle idée saugrenue. J’ai coupé du bois de chauffage, ma cheminée était en pierre, seule concession au minéral, autour de laquelle je bâtis ma maison dans la forêt, pendant le printemps et l’été précédents. C’était le seul chauffage, avec quelques couvertures et sacs de couchage acquis au Vieux Campeur, matériel destinée initialement aux montagnards, ici c’est le niveau de la mer, et elle gèle alors pourquoi grimper, je vous le demande ?

Conte de Noël multiple, il s’étale sur trois saisons hivernales, la première, cause indirecte de mon exil polaire, la deuxième pour l’inauguration de mon havre de paix et la troisième, clé pour en sortir.

Les anecdotes des deux expéditions en traîneau de mes enfants furent croustillantes, beaucoup de mérite pour deux êtres non sportifs, une expérience humaine hors norme. Pour la petite histoire, j’avais trouvé ce coin de terre au plus profond de la taïga lapone, une concession à la modernité était une ligne à haute tension à destination de la Russie, à un kilomètre de là, branchement possible après accord et bricolage de l’agent EDF du coin. La virée en traîneau mit deux jours pour arriver, bivouac en cours de route en pleine forêt, départ au petit matin dans la nuit noire, pas de soleil en Décembre. Ce qui me plût le plus, c’est le deuxième Noël. La première fois, elle et il ne connaissaient pas, le bivouac, la température et la neige, ils revinrent néanmoins pour un deuxième réveillon, affrontant les éléments, blizzard en plus cette fois-là, traîneaux chargés de babioles, constatant que leur père était toujours vivant, mine réjouie, content de voir du monde.

J’ai oublié l’ours du début de mon histoire, que je fis fuir en faisant beaucoup de bruit et en agitant les bras au-dessus de la tête, autre moyen de faire fuir la bête, ça ne marche pas à tous les coups mais à cette occasion, oui.

Je reviens au deuxième réveillon, j’avais fait du feu dans la cheminée, préparer un ragoût de renne, pommes de terre sautées et un gâteau, cuit dans un vieux four à bois, vestige des temps anciens, réminiscence de celui de ma grand-mère paternelle dans la Bretagne des années soixante.

Inutile de vous dire qu’il y avait un sapin, un comble eût été de ne pas en avoir composé un. Le repas fut heureux, joyeux, l’heure des cadeaux après le digestif, alcool de bouleau, ne me demandez pas, c’est juste mortel et très fort.

Les cadeaux de ce Noël, j’y viens et vous vous demandez ce que je pouvais bien leur offrir à mes enfants, au fond de la forêt, peu de magasins et Amazon n’est pas encore arrivé ici. Il faut s’occuper et les journées, si la lumière est faible en hiver, elle est resplendissante au printemps, les oiseaux sont légion, l’herbe pousse, les arbres ont un feuillage resplendissant et les rivières déroulent leur flux limpide. Je m’étais mis à la peinture et offris à chacun de mes enfants un tableau de cette nature chatoyante, animaux en plus, histoire de donner une touche « jardin d’Eden » aux chefs d’œuvre de leur père.

La liste de ce que je reçus est un condensé d’humour, de pied de nez et de délivrance.

Une offre touristique dont je ne compris pas de suite l’utilité, une cure de Thalasso, dans notre belle région bretonne, quelques jours à Quiberon à se faire masser, après des mois de solitude, ça ne te fera pas de mal .

Je rétorquai que je ne voyais pas trop comment je pourrai y aller, vu les circonstances…

On en reparle tout à l’heure…

OK, OK…

Je défis un ruban autour du paquet suivant, un livre assurément, une Bible. Surprise, rires divers…

On s’est dit que tu avais peut-être rencontré Dieu, à défaut du Père Noël, et qu’il te fallait des munitions, pour faire la causette avec lui…

Education déplorable, perdus pour l’Eglise, bon , mais le jour de Noël, blasphèmes à tout va…

Et cette odeur, l’horreur, mon pire cauchemar dont les effluves vinrent chatouiller mes narines dilatées, sous les éclats de rire, des choux de Bruxelles, le légume dont je ne peut supporter l’odeur, le goût, je n’en parle même pas, souvenir culinaire d’un internat briochin, marqué à vie.

Nous avons bien ri à l’évocation de ce lointain souvenir.

Une boîte conséquente, ouverture : une cocotte-minute, je rêve

Pour les choux…Clin d’œil, et autre chose si tu veux.

Et ce dernier paquet, petit par la taille, resté au frais dans la remise, qu’est-ce donc ?

Je vais le chercher dis ma fille en se levant prestement.

Mon fils me regarde avec un petit sourire et me demande à quelle distance est le village le plus proche.

40 kilomètres environ, pourquoi ?

Ma fille revient avec le petit paquet , tu ouvres papa ?

Que de mystères !

Vas-y !

Je déchire l’enveloppe, il s’agit d’une enveloppe matelassée de la poste et sort une fiole d’un liquide, puis deux et ….deux seringues avec les aiguilles afférentes …

???

Ne me dites pas que c’est …LE VACCIN ? Vous avez eu ça comment ?

T’occupes pas, c’est légal, à utiliser rapidement, garde au frais , c’est le Moderna, la température ici sera suffisante ; six semaines entre les deux doses et ton village, il a un médecin ?

Il me semble oui…                                  

 

Tu fais ça, tu rentres à la maison après et tu vas te promener, nous avons pensé que pour Noël, le plus beau cadeau serait de te rendre tes ailes.

J’en pleure encore aujourd’hui…

Ceci n’est qu’un conte de Noël pour les grands et les petits

 

Gilles COCHET

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