Il est 08h48, nous sommes le 1er Septembre 2021
C'est la rentrée...littéraire.
Je précise que cette rentrée-là n'existe que chez nous, en France. Pour celles et ceux qui n'ouvrent que les portes et fenêtres, jamais, ô grand jamais un livre, l'agitation neuronale qui saisit une frange du monde libre doit relever d'une pathologie à soigner d'urgence à grands renforts de pilules diverses.
Plus de 500 parutions romanesques, françaises et étrangères, est-ce bien raisonnable ? En quelques semaines, les librairies françaises vont recevoir des cartons estampillés "Nouveautés", en plus de la production éditoriale habituelle. La richesse naît de la diversité, de la multitude ? Pas sûr que les maisons d'édition ne gagneraient pas à être plus sélectives dans leurs publications. L'imaginaire est une donnée censée nous protéger contre l'uniformité, la liberté de penser et de créer existe encore ici. Oui mais.
Un écrivain ne vit pas dans une bulle le protégeant des influences du monde extérieur, il vit comme vous et moi, au contact de ses prochains, plus ou moins selon les personnalités, mais la vie d'ermite n'est pas la règle, il faut bien assurer sa subsistance. Vous m'avez compris, les personnes qui vivent de leur plume ne sont pas légion, elles et ils sont l'exception. Ce vécu laisse des traces. Il ne vous aura pas échappé que la période actuelle a accouché de multiples contraintes, symboliques ou concrètes. Le principe de précaution, sacro-saint, envahit chaque interstice de nos vies, le langage est soumis à un décryptage de tous les instants, la pensée transgressive, moteur de créations, subit les coups de boutoir du politiquement correct. Evoquer, même sous le manteau, un sujet comme le sexe, le marxisme, la liberté sous un autre angle que celui consensuel ou d'exclusion véhiculé par les médias revient à se couper de son lectorat potentiel. L'auto-censure n'a jamais aussi bien fonctionné. Les sujets auto-centrés sont tendance, la proximité avec le public est patente, et c'est inoffensif, tout comme un roman policier, vaguement ancré dans les problèmes sociétaux, sans prise de position. Résoudre une énigme est devenu un exercice d'agilité mentale fort prisé.
Les éditeurs ont une responsabilité dans l'accouchement d'une oeuvre, l'accompagnement d'un auteur est le coeur de leur travail... l'était. La primauté revient au service marketing, l'édition au sens traditionnel passe au second plan, il faut que CA MARCHE, de suite si possible, passer chez Busnel, sur Arte ou la Cinq, je n'ose parler des chaînes primaires, 1, 2, ou 3.
Je vous rassure, il existe de bons éditeurs, ceux qui font leur travail de défricheur, de découvreur de talent. Il existe aussi des ouvrages oubliés, traduits récemment, écrits il y a quelques décennies, sortis de nulle part, passés entre les mailles du temps, prenant la poussière, libre de droits. Je cherche souvent ce genre d'ouvrages, peu vendeurs, souvent originaux dans leur approche, non consensuelle.
J'évoquai plus haut le nombrilisme, la vie du voisin d'en dessous, sociologie de comptoir vite digérée dont l'identification évidente tient lieu d'argument de vente. On se sent moins seul(e) en lisant sa propre histoire d'une solitude contrainte, la lecture étant un loisir de salon, la délectation vous envahit devant les mots alignés, la voix de l'auteur entre en résonance entre les murs silencieux de la maison ou de l'appartement, les échos du passé disparus depuis longtemps. Donner corps à la souffrance d'autrui a un rôle social évident, donner de l'espoir aussi, il ne faut pas mésestimer le bonheur ressenti quand nous enfilons les habits du héros ou de l'héroïne, changer de peau le temps d'un entracte peut être une thérapie contre la morosité des temps actuels.
Je ne suis pas dans la recherche d'un avatar, j'ai passé l'âge même si mon âme d'enfant resurgit à l'évocation de Jules Verne ou d'Alexandre Dumas.
J'ai souvent l'impression dans mes lectures d'aujourd'hui de retrouver des ressorts dramatiques, des intrigues déjà vues, d'un décor mille fois évoqué. Vous avez compris que lire depuis toujours quelques dizaines d'ouvrages par an, peut rendre exigeant. Le rétrécissement des angles descriptifs ou d'analyse de la vie contemporaine donne une redondance désagréable à la lecture des quatrièmes de couverture : encore un pensum sur la quarantaine mal vécue, sur la pseudo libération féminine actuelle, sur la pédophilie en milieu bobo, etc, etc.
Rien ne va, je vais voir mon psy, je m'achète une maison à la campagne, je revends mes actions de cette multinationale vraiment trop trash, je prends une année de disponibilité, je vais faire un travail sur moi, écrire. Regarder les piles chez votre libraire et nous en reparlons de ces passionnantes aventures de quadragénaires en quête identitaire.
Les images d'aujourd'hui continuent le périple indien, déjà évoqué.
Bonne journée
Bises