Représentation
De ville en ville, je change de décor. Après tant d'années sur les routes de France s'est installée une routine qui, pour beaucoup, serait une bouffée d'oxygène dans une sédentarité subie. Dans le nomadisme aussi, il existe des habitudes. Elles s'ancrent dans le quotidien et, avec l'âge, permettent d'économiser une énergie moindre, cela s'appelle l'expérience. L'ennui n'est jamais loin dans un travail répétitif. Il est nécessaire de trouver des dérivatifs, des sujets d'étonnement. Dans un métier de contacts humains, chaque rencontre se doit d'être un plaisir partagé, sous peine de déceptions renouvelés. Il faut se contenter de peu quelquefois, du petit geste, du café offert après une longue route, d'un simple sourire où d'une conversation loin des préoccupations professionnelles. La multiplication des rencontres crée ces moments privilégiés, elle crée aussi, hélas, les situations stéréotypées, les phrases toutes faites, les silences embarrassés. Ces rencontres portent en elles leur propre limite. Je connais beaucoup de gens et je ne connais personne. Ces relations en pointillé laissent un goût d'inachevé : un lieu, une personne, un autre lieu, et ainsi de suite. Le contexte, le temps imparti obligent à une concision des rapports, un concentré de dialogues que l'on reprendra...ou pas quelques semaines plus tard. S'éviter toute implication affective est une absolue nécessité, elle n'est pas évidente à mettre en pratique, c'est humain de laisser parler sa sensibilité mais on y laisse des plumes et, avec le temps, la spontanéité laisse place au théâtre. Je suis en représentation permanente. Dans la sphère privée, c'est utile et dangereux, la schizophrénie n'est pas loin et le jeu théâtral n'est plus de mise, recouvrer la sincérité des rapports humains devient vital.