Silence / Il est 6h15 le 26 Mai 2023
Le calme règne sur la ville. Avant la déferlante des décibels du festival Art Rock, la ville retient son souffle. Moi aussi, je suspends toute activité respiratoire, dans l'attente d'un signe d'existence de quelqu'un manifestement très occupé. Chacun vaque à ses occupations, et c'est très bien comme ça. L'art sous toutes ses formes ne vaut que lorsqu'il est partagé par toutes et tous. La création en soi, activité souvent solitaire, n’éclot que sous le regard de l'autre. Sinon, elle n'est que l'expression imparfaite d'un talent, d'une sensibilité et d'une maîtrise technique dans le matériau choisi. Dans le secteur théâtral par exemple, que je connais fort peu, qui contestera qu'une pièce écrite n'existe que dans la bouche de ses interprètes. Lire une pièce dans un livre, seul dans son coin, distille comme une odeur de renfermé. Un film dont les bobines (avant) dorment dans un placard, oublié de tous, n'existe que dans les souvenirs de ses participants. Les exemples se multiplient à l'infini, une musique, un tableau, etc...
Je m'intéresse au sujet depuis ma timide apparition dans le champ de la création scripturale, n'osant parler de création littéraire. Les mots dans ce milieu sont à manier avec précaution, l'autorisation de rentrer dans le cénacle est sujette à moult tampons, dûment apposés. J'avais éprouvé cela en rentrant dans l'édition, modeste commercial, passeur non de mots, mais d'images, couvertures cachant un contenu plus ou moins digeste, dont les auteurs nous avaient confié qu'ils avaient mis les tripes sur la table et que leur vie en dépendait. La responsabilité était lourde sur mes épaules d'alors. Je fus vite affranchi par des collègues plus expérimentés. La qualité, me disaient-ils, est inversement proportionnelle au niveau sonore des trémolos du pathos larmoyant de ces "écrivains" confondant les réunions éditoriales avec le divan du psy.
Je pense à cela également en regardant les tables des libraires et aux salons du livre qui fleurissent avec le printemps, à ces milliers de pages noircies qui n'attendent qu'une lecture pour exister, et quitter leur support papier pour danser en une folle farandole.
La soif de reconnaissance que représentent toutes ces piles ne sera pas étanchée, laissant sur le carreau nombres d'espoirs déçus.
Fallait-il en attendre autre chose ?
J'en suis de moins en moins sûr.
Beaucoup d'appelés sur les bancs de l'écriture attendront en vain l'appel de leur nom.
Je relativise, j'essaie de limiter l'influence des mots dits ou non-dits par d'autre sur la qualité de ce qui est écrit par moi.
"C'est bien ce que tu fais."
"Tu peux mieux faire"
"Ce n'est qu'un premier jet, à retravailler"
ou le silence qui vaut avis définitif.
P.S / A propos de silence, un album que je ne peux plus écouter, CD renvoyée à sa propriétaire, je vis Cabrel sur scène en 2008, deux heures parfaites pour moi, l'artiste de talent (je trouve), modeste et discret. Il symbolise assez bien cette période, par moi saccagée.
Jean-Louis Murat est mort hier. Je ne connaissais que très peu, talentueux et sale caractère d'après ce que l'on sait, mais que ne dit-on pas ?
Bonne journée
Bises et gros bisous
Images de bord de mer