Mémoires d'Hadrien de MARGUERITE YOURCENAR aux Ed. Gallimard

Avis paru dans BABELIO

Donner un avis sur un texte de ce calibre me donne le vertige. Je n'ai pas assez de bagage littéraire pour dégager un axe d'analyse suffisamment pertinent. Ce n'est pas un livre pour érudits, c'est une curiosité écrite de manière exceptionnellement riche, tant au niveau de la précision des mots utilisés, de la mise en abime historique, personnalisation telle que que l'on lit les mémoires d'Hadrien, et non leur transcription par Marguerite Yourcenar. L'effacement de l'auteure est total. Nous sommes dans la vie de cet empereur romain du deuxième siècle de notre ère, l'apogée de l'Empire, dans son extension maximum comme dans la tenue de son statut de puissance dominante. Les réflexions sur la nécessité d'arrêter son expansion sont une leçon de géopolitique, la paix étant une autre manière de faire la guerre. Le respect des cultures vassales est posé, comme son contraire, l'acculturation nécessaire de régions trop remuantes, prendre chez les Grecs ce qu'ils ont de mieux, colonne vertébrale philosophique et artistique. La lucidité d'Hadrien sur les limites intellectuelles de Rome nous parle à travers les siècles, se sachant à un point d'équilibre à partir duquel l'Empire romain ne peut qu'entamer sa lente mais inexorable décadence, propre à tout système humain âgé de plusieurs siècles.
Tous les aspects d'une vie sociétale sont abordés par la voix de l'omniscient Hadrien. Les affects ne sont que trop présents, l'on notera la liberté de moeurs ( Antinoé) qui vaudrait à l'empereur aujourd'hui une comparution immédiate devant les tribunaux et une mise à mort médiatique. Rien de tout cela, le ton y est serein et détaché, la normalité est ailleurs, dépassant de loin les turpitudes libertines, nécessaire au bon exercice du pouvoir. L'amour d'un monarque pour un éphèbe est un non-sujet.
Au crépuscule de son existence, l'évocation de sa mort prochaine donne des pages exceptionnelles par la justesse de ton, les croyances diverses, monothéiste, polythéiste et païenne sont passées en revue, telles des possibilités pour l'après. C'est très impressionnant et exprimé dans une langue et un style que l'on ne rencontre guère dans la production actuelle, la différence entre une écrivaine et des littérateurs.
J'arrête là ma péroraison, vous avez compris, c'est à lire si ce n'est déjà fait, ce livre est paru en 1951 et est un classique de la littérature française du 20ème siècle.
Je signale au passage l'existence de l'émission "Apostrophes", interview de Marguerite Yourcenar par Bernard Pivot en Décembre 1979, archives INA, dans laquelle il est question de cet ouvrage, un vrai bonheur d'intelligence.
A lire ou relire.

Image : Forum / Rome / 2007